samedi 17 décembre 2011
Carpates 2011 : la foire aux passeports
Parés d’images assez divergentes – pour le meilleur comme pour le pire – dans la presse occidentale, l’homme fort de Bucarest et le nouveau premier ministre hongrois ont néanmoins un point commun peu ou mal connu à l’Ouest : une politique de grandeur nationale qui, tout en créant un potentiel de tensions entre les deux pays, a paradoxalement pour conséquence immédiate de rapprocher stratégiquement les deux leaders, jusqu’à faire d’eux des alliés objectifs.
Viktor Orbán, premier ministre en Hongrie depuis mai 2010, est surtout connu à l’Ouest du fait de campagnes polémiques lancées contre son gouvernement par de grands groupes de presse occidentaux, notamment à cause de ses initiatives (pourtant imitées aujourd’hui au plus haut niveau de l’UE) en vue de mettre à contribution le monde de la finance pour contrer les effets de la crise économique. Souvent exagérés par amalgame avec les aberrations xénophobes de l’extrême-droite hongroise (représentée au Parlement, mais non dans le gouvernement Orbán), les tendances autoritaires du régime Orbán sont indéniables, mais surmédiatisées au détriment d’autres évolutions comparables de pays de la région – notamment en Roumanie, où Train Băsescu, président de la république depuis 2004, (réélu en 2009), surtout depuis la rupture de son parti PDL avec les libéraux du PNL, présidentialise à vue d’œil le système politique, contrôle directement ou indirectement au moins 80% des médias nationaux et menace régulièrement l’indépendance (toute relative) des médias « dissidents ».
En occident, l’image médiatique de Train Băsescu comme président bonhomme et vaguement inefficace (gaffes, alcoolisme, népotisme etc.) est principalement conditionnée par le traitement médiatique superficiel de problèmes internes (pauvreté, corruption, non-accession à l’espace Schengen, etc.), et notamment de ceux qui « se déversent » dans les zones plus aisées de l’espace communautaire (problèmes des migrants tsiganes roumains, notamment en France et en Italie).
Ces constructions médiatiques, fondées sur les besoins de problématiques partisanes internes aux Etats occidentaux, cachent de nombreux aspects importants des régimes en question, notamment en matière de politique extérieure et régionale – domaine dans lequel T. Băsescu, comme on le verra ci-dessous, est loin d’être inefficace, et dans lequel les innovations déstabilisatrices du régime Orbán n’ont pas grand-chose à voir avec la question tsigane ou la liberté de la presse. Elles cachent notamment une politique de grandeur nationale, présente dans le discours électoral des deux stratèges, et dont la mise en œuvre bien avancée – se heurtant à moins de contraintes macroéconomiques que d’autres éléments de leurs programmes – restera probablement une partie essentielle de leur legs historique.
Commençons néanmoins par souligner quelques différences importantes : l’un et l’autre issus de « révolutions oranges », Băsescu et Orbán ont, depuis leurs débuts dans une opposition pro-occidentale aux régimes post-nomenclaturistes des années 1990, beaucoup évolué, en partie dans des directions opposées : tandis que T. Băsescu continue à faire de l’OTAN (pour qui son pays est d’une certaine importance stratégique) et de la russophobie (1) les piliers de sa politique extérieure, Orbán, tout en bouclant une présidence tournante exemplaire de l’UE (2), se tourne de plus en plus vers la Chine, mais aussi la Russie et l’Iran, à la recherche de partenaires susceptibles de le soutenir contre l’hostilité déclarée des régimes atlantistes. Porté au pouvoir par une vague d’indignation populaire contre la corruption et l’inefficacité du régime précédent, dominé par le Parti Socialiste Hongrois (3), il dispose – fait sans précédent dans l’histoire de la Hongrie démocratique – d’une majorité constituante des 2/3 au Parlement, et d’encore deux ans et demi de mandat pour mener à terme son programme. La légère érosion enregistrée depuis le début de 2011 dans la popularité de son parti démocrate-chrétien (FIDESZ) ne peut pas être comparée à l’effondrement de celle du PDL, sorte de « majorité présidentielle » sans réel programme politique créée par T. Băsescu (4), usé par 7 ans de pouvoir et en butte aux attaques d’une opposition déchaînée.
Ce qui, sans qu’on s’en rende réellement compte à l’Ouest, rapproche Băsescu et Orbán, c’est qu’ils appliquent l’un et l’autre, dans leur gestion du problème des populations roumaines et hongroises historiquement implantées au-delà de leurs frontières actuelles (5), la leçon apprise de Helmut Kohl. Discursivement justifiée par les thèmes nationalistes hérités des idéaux de Grande Roumanie et de Grande Hongrie (6), leur politique d’octroi de passeports roumains aux Roumains de République Moldave et de passeports hongrois aux « Hongrois de l’extérieur » (c'est-à-dire principalement à ceux de Roumanie) repose en grande partie sur un calcul politique : capitaliser électoralement sur la « reconnaissance du ventre » dont ont aussi fait preuve les Allemands d’URSS, de Roumanie et d’autres pays communistes et postcommunistes à l’égard de la CDU/CSU, qui avait permis leur migration vers la RFA (puis l’Allemagne unie). Mais, au-delà de l’idéologie et du calcul, les conséquences géopolitiques et culturelles à long terme de ces politiques restent difficiles à prévoir. Quoi qu’il en soit, la discussion de ce problème sera l’occasion d’un réexamen des données, souvent mal connues à l’Ouest, de la situation ethno-politique du Domaine Carpatique.
Panroumanisme en Moldavie
Cette politique est particulièrement problématique dans le cas moldave, où elle constitue le fer de lance d’une politique ouvertement annexionniste, dans la mesure où la République Moldave est un état roumanophone souverain où les Roumains ne peuvent pas être considérés comme une minorité. Compte tenu des nombreuses difficultés de la vie quotidienne en République de Moldavie (7) et de l’appartenance de la Roumanie à l’UE, cette politique – accompagnée par une politique relativement généreuse d’aide à l’implantation (logement, bourses universitaires etc.) en Roumanie – attire mois après mois des milliers de moldaves (8) en Roumanie – même si pour beaucoup, cette émigration n’est qu’un premier sas franchi en direction d’une installation en Europe occidentale (9). En d’autres termes : la Roumanie de T. Băsescu est actuellement l’une des principales portes ouvertes à l’immigration extracommunautaire. Paradoxalement, les leaders occidentaux préoccupés par les questions d’immigration n’en font guère mention, préférant critiquer sans aucune légitimité juridique l’afflux de tsiganes roumains (qui sont tous citoyens communautaires, et pour la plupart citoyens roumains depuis la création de la Roumanie !) (10)
Menaçant aussi à terme le statu quo politique interne de la République de Moldavie, exposée depuis longtemps à de nombreuses ingérences roumaines, la « politique moldave » de T. Băsescu se heurte aux intérêts stratégiques de la Russie, qui sous Poutine s’affirme comme le défenseur naturel des minorités russophones de Moldavie et de Transnistrie, et ne saurait tolérer l’idée d’une annexion qui se traduirait automatiquement par un nouveau déplacement de la frontière stratégique de l’OTAN en direction de ses propres frontières.
Externalisation du corps électoral
Cette politique est néanmoins « tolérée » par l’UE, où elle jouit probablement du soutien tacite du régime Orbán, lequel, en contrepartie, rencontre un minimum d’obstacles administratifs dans sa campagne de naturalisation des Hongrois de Transylvanie (11). Quoique facilitant effectivement l’émigration économique de ces derniers vers la Hongrie, cette « distribution » de passeports ne semble cependant pas devoir pour l’instant déboucher sur un exode massif (tout au plus sur une massification de l’effectif des saisonniers). Du coup, la politique de « responsabilité historique » prônée par Orbán débouche sur une reconfiguration du corps civique hongrois, dont une partie croissante est constituée de détenteurs de doubles citoyenneté (12), souvent sans domicile ni revenus fiscalisés en Hongrie. Cette situation, amplement dénoncée en Hongrie par les adversaires politiques du régime actuel, n’est cependant pas sans équivalent dans la région : le système électoral roumain, notamment, est fortement influencé par les effets du vote consulaire ou par correspondance de nombreux adultes roumains vivant et travaillant de façon quasi-permanente dans d’autres pays de l’UE (principalement Italie, Espagne et France), dont certains détiennent d’ailleurs déjà la citoyenneté (13).
Ce phénomène est aujourd’hui amplement commenté par la presse et l’opinion roumaines, marquées par « le scandale » des récentes élections présidentielles de 2009 : T. Băsescu avait alors dû sa réélection notamment au vote des Roumains de l’étranger, naturellement peu concernés par les décisions de politique fiscale et budgétaire assez impopulaires prises par le gouvernement à majorité PDL d’Emil Boc dans sa gestion de la crise économique, donc plus sensibles à l’argumentaire idéologique « anticommuniste » et grand-roumain du candidat Băsescu.
« Côté hongrois » : mus par la nécessité de fédérer leurs nouveaux électeurs extraterritoriaux, les partis politiques de Hongrie (FIDESZ en tête) se dotent en ce moment de représentations locales en Transylvanie (notamment au Pays Sicule (14)). En parallèle, la diplomatie souterraine du FIDESZ s’efforce de faire apparaître sur la scène politique minoritaire de Roumanie de nouveaux partis hongrois susceptibles de concurrencer le vieux « parti unique » de la minorité hongroise, l’UDMR, dont l’appareil est profondément hostile au régime Orbán, mais le cache plus ou moins du fait de l’énorme popularité de ce dernier dans les masses hongroises de Roumanie, notamment sicules (15).
Tout en représentant une évolution positive vers le pluralisme, ces nouveaux partis risquent fort de devenir une simple raison sociale permettant à des partis de Hongrie (et notamment au FIDESZ) d’agir directement sur la scène politique roumaine. Compte tenu des liens d’amitiés qui le lient personnellement à diverses personnalités de ces mouvements pro-FIDESZ (et notamment à l’évêque László Tőkés), T. Băsescu s’inquiète assez peu du danger qu’ils représentent pour le monopole électoral de l’UDMR, pourtant partenaire de son parti PDL dans la coalition de gouvernement actuelle.
La Transylvanie ghettoïsée
Cette situation, conjuguant ses effets de dispersion du vote hongrois de Roumanie à ceux du système de vote uninominal récemment institué par T. Băsescu, risque, à terme, d’une part de provoquer la disparition de l’UDMR (laquelle serait certes souhaitable dans un monde idéal, en raison de ses tendances hégémoniques et du haut degré de corruption qu’entraîne l’absence de concurrence), mais aussi de créer au sein de la minorité hongroise de Roumanie une profonde divergence d’intérêts entre les Hongrois (principalement sicules) des zones à peuplement hongrois majoritaire et ceux des autres zones (souvent désignés sur place comme « zones de diaspora »), notamment en Transylvanie centrale, renforçant ainsi la tendance à la concentration ethnique zonale (« fuite » de la diaspora vers les zones densément hongroises du Pays Sicule et du Partium) déjà encouragée en sous-main par le régime Ceauşescu.
Au chapitre des dangers, mentionnons aussi celui d’une contagion nationaliste créée en Roumanie par cette « inversion des rôles » survenue entre droite nationaliste et gauche post-nomenclaturiste dans leurs attitudes respectives face au « problème hongrois » : tandis que les partisans de T. Băsescu, maintenus au gouvernement par leur alliance avec l’UDMR (et prêt à collaborer encore plus étroitement avec ses éventuels successeurs en cas d’éclatement du vote hongrois de Roumanie), collaborent tacitement avec le régime Orbán, dans l’opposition « socio-libérale » la « gauche » roumaine récupère stratégiquement (16) les thèmes nationalistes et anti-hongrois hérités du national-communisme de l’ère Ceauşescu. Ce « brouillage des cartes » – s’ajoutant aux frustrations provoquées par la crise économique et à l’épineux problème sicule (17) – pourrait à terme déboucher sur une ré-aggravation des tensions interethniques en Transylvanie, lesquelles, compte tenu de la politique de « porte ouverte » du régime Orbán à l’égard des Hongrois transfrontaliers, pourrait alors provoquer une nouvelle vague de migration des Hongrois transfrontaliers vers « la Hongrie politique » (18).
Dans tous les cas, les évolutions en cours ne peuvent que contribuer à l’intensification de l’acculturation (culturelle, linguistique etc.) de la culture transylvaine-hongroise (marquée par la ruralité, les traditions communautaires et un christianisme vernaculaire à prédominance protestante) par l’identité culturelle néologique (urbaine, nationaliste et néo-catholique) des Hongrois de Hongrie.
Conclusion
Objectivement périmées, les idéologies politiques en circulation dans la zone décrite (aussi bien celle du nationalisme/irrédentisme que celle du statu quo souverainiste) occultent une problématique dont la portée dépasse celle du vieux problème des minorités nationales historiques : l’inadéquation croissante des cadres politiques de l’Etat-nation centralisé à la réalité socio-économique créée par la révolution des transports, la globalisation et la micro-globalisation européenne.
Indépendamment de la couleur politique des régimes en place, en l’absence de structures fédérales internes et transfrontalières efficaces, les structures de l’Etat-nation, particulièrement inadaptées à la réalité anthropologique de la région, continueront à produire leurs effets bien connus d’échanges de population, de ghettoïsation de minorités et d’accroissement des tensions entre ethnies et nations voisines. Un changement de paradigme semble être la seule alternative crédible à une paix viciée pouvant assez vite déboucher sur des situations conflictuelles.
(1) curieusement amalgamée à l’anticommunisme en méconnaissance totale et volontaire du virage poutinien ; cette contradiction est particulièrement sensible en Hongrie, où la manie anti-communiste du nouveau régime (qui prétend ignorer le caractère profondément antimarxiste de l’ancien, évident en dépit de l’adjectif « socialiste » apparaissant dans le sigle « MSZP ») l’a amené à débaptiser la célèbre Place de Moscou, au centre de Budapest – fait d’autant plus paradoxal que Budapest entretient de bien meilleures relations avec Moscou que Bucarest ou Prague…
(2) Presque unanimement reconnue comme telle, en dépit « d’interférences » créées par l’activisme de certains europarlementaires (notamment socialistes et verts) contre certains aspects de la politique intérieure du FIDESZ (aspects que ces mêmes critiques ont néanmoins dénoncés entre autres comme étant « en contradiction » avec sa gestion de la présidence tournante, validant ainsi implicitement l’opinion majoritaire), cf. http://www.europarl.europa.eu/news/fr/pressroom/content/20110701IPR23193/html/Le-Parlement-d%C3%A9bat-du-bilan-de-la-pr%C3%A9sidence-hongroise-avec-le-Premier-ministre
(3) Lequel, comme la plupart des partis nominalement socio-démocrates issus des anciennes nomenclatures des régimes à parti unique d’Europe Centrale, appliquait avec férocité les recettes néolibérales de gestion de la crise – avec leur résultat désormais bien connu : détresse sociale et aggravation du mal.
(4) Tandis que le FIDESZ, avec l’essentiel de son personnel actuel, apparaît dès 1988 sous la forme d’un mouvement de jeunesse contestataire, et n’a toléré que relativement peu d’entrisme en provenance des élites gouvernementales post-nomenclaturistes de l’avant-1998, le PDL n’apparaît en tant que tel qu’en 2007, pendant la troisième année du premier mandat présidentiel de Băsescu ; il est issu du PD, qui est lui-même l’un des produits de l’éclatement en 1992 du Front de Salut National, c’est-à-dire de l’élite nomenclaturiste qui a orchestré le putsch anti-Ceauşescu (mé)connu sous le nom de « Révolution Roumaine de 1989 ».
(5) Pour mémoire : totalisant un million et demi de personnes, la minorité magyarophone de Roumanie (principalement présente en Transylvanie) constitue depuis 1918 la plus nombreuse des minorités nationales européennes en dehors de l’ancien espace soviétique ; il semble en revanche scientifiquement impossible de considérer les roumanophone de République de Moldavie comme une minorité nationale, dans la mesure où, au recensement de 2006, plus de 65% des 4,3 millions de citoyens moldaves déclaraient avoir pour langue maternelle le roumain (que beaucoup choisissent néanmoins d’appeler « moldave », par souci d’indépendance), qui est aussi la seule langue officielle de l’Etat, en dépit de la présence d’une énorme minorité slave (russe et ukrainienne) dépassant le million. Sinon, il faudrait aussi considérer les germanophones d’Autriche ou de Suisse (majoritaires dans leurs Etats respectifs) comme une « minorité nationale » allemande…
(6) Que cependant personne ne songe sérieusement à réaliser sous forme d’expansion territoriale armée, ne serait-ce que parce que les deux pays manquent depuis longtemps d’armées à la mesure de telles tâches et d’une culture de belligérance rendant les conséquences de telles entreprises socialement acceptables au-delà de la rhétorique nationaliste des périodes électorales.
(7) Pauvreté, désorganisation, corruption et autres maux qu’une frange de la population (incluant paradoxalement beaucoup de russophones urbains pro-occidentaux) interprète à tort ou à raison comme une conséquence de la non-intégration du pays dans l’UE.
(8) Qui parlent tous (aussi) roumain et se déclarent tous roumanophones, même si certains sont de facto issus de familles russes, comme leur accent le laisse très facilement supposer (observation personnelle réalisée sur d’assez amples effectifs d’étudiants d’origine moldave pendant mes deux semestres d’enseignement du français à l’Université Babeş-Bolyai de Cluj).
(9) Il n’existe à ma connaissance aucune statistique permettant d’établir la proportion de moldaves parmi les citoyens roumains s’établissant dans d’autres pays de l’UE (étant donné qu’après obtention de la citoyenneté roumaine, leur ethnicité moldave devient, du point de vue des Occidentaux, une caractéristique personnelle, relevant de la vie privée), mais il suffit de savoir que le taux migratoire net de la République de Moldavie est de -25%, que la plupart des migrants roumanophones (qui représentent plus de 60% de la population totale) émigrent d’abord en Roumanie (les slavophones étant aussi attirés par l’espace postsoviétique) pour se faire une idée de l’ordre de grandeur : en aucun cas inférieur à 30% de l’effectif migratoire, soit au moins des dizaines de milliers de personnes depuis la mise en place de cette politique, et potentiellement (à terme) plus de 100 000, auxquelles s’ajoutent les migrants clandestins (résidant officiellement en Roumanie, mais travaillant illégalement à l’Ouest).
(10) La presse occidentale a certes attiré l’attention sur cet « élargissement clandestion de l’UE » (notamment ici : http://www.presseurop.eu/fr/content/article/294881-moldavie-l-elargissement-clandestin), mais en négligeant d’analyser les motivations et les conséquences internes du phénomène en Roumanie même, à savoir d’une part le calcul électoral sous-jacent (Train Băsescu sachant par ailleurs pertinemment qu’il n’a pas les moyens diplomatiques – et encore moins militaires – nécessaires pour faire fi du véto russe contre une éventuelle annexion de la Moldavie), d’autre part la reprise de facto de la politique de roumanisation (initiée par N. Ceauşescu) de zones ethniquement hongroises ou mixtes (et notamment des grandes villes de Transylvanie, zones de relative prospérité économique qui attirent naturellement les migrants).
(11) Concrètement, il s’agit des mesures de « simplification de la procédure de naturalisation » dans le cas des « hongrois de l’extérieur » (catégorie souvent dénoncée comme reposant sur une discrimination ethnique, bien que les critères officiels soient 1) d’avoir des ancêtres ayant détenu la citoyenneté hongroise et 2) la maîtrise de la langue hongroise) ; la procédure concrète n’étant mise en œuvre – au moment où j’écris – que depuis moins d’un an, il est encore difficile de chiffrer ses résultats avec précision ; vivant parmi les hongrois de Transylvanie, j’estime que plus de 40% d’entre eux (et plus de 60% des Sicules) ont obtenu ou demandé, ou vont prochainement demander la double citoyenneté, soit, à terme, au moins un demi-million de personnes (principalement jeunes et urbaines ; chez les jeunes diplômés sicules sans CDI et/ou candidats à une émigration économique, la proportion dépasse probablement les 80%). Remarquons qu’en dépit de protestations de pure forme destinées à contrecarrer la campagne ultranationaliste de l’opposition… socio-libérale, le régime Băsescu, au contraire du gouvernent nationaliste slovaque qui menace de priver les candidats à la citoyenneté hongroise de leur passeport slovaque, n’a rien fait pour dissuader ses citoyens ethniquement roumains d’accepter l’offre de Budapest.
(12) L’effectif des « nouveaux citoyens », qui ont presque tous la majorité électorale, pourrait à terme (en 2013 ?) friser (toutes provenances confondue : Roumanie, Slovaquie, Serbie, Ukraine, Croatie…) le million, soit près de 1/8ième (et quoi qu’il en soit plus de 10%) du corps électoral hongrois de 2006.
(13) Aux dernières élections présidentielles (novembre 2009), le MAE roumain annonçait près de 100 000 votes aux sections consulaires, auxquels il convient d’ajouter le vote par correspondance et celui des roumains résidant à l’étranger mais inscrits sur des listes nationales et présents sur le territoire le jour des élections (très difficile à préciser – voire impossible dans le cas de ceux qui résident officiellement en Roumanie mais passent le plus clair de leur temps en Occident, où ils travaillent illégalement) ; il s’agit donc certainement d’un nombre à six chiffres, qui peut paraître raisonnable au vu de la population roumaine (presque 22 millions d’après le recensement de cette année), mais revêt une importance stratégique, compte tenu du relatif éclatement du vote roumain (fin 2009, T. Băsescu a été réélu avec moins de 70 000 bulletins d’avance sur son rival du PSD), lui-même dû en partie à la diversité ethnique interne du pays, l’énorme majorité des 6% de citoyens ethniquement hongrois votant systématiquement pour le parti hongrois UDMR dans tous les scrutins où il est représenté (y compris au premier tour des présidentielles).
(14) Sur les 41 départements qui constituent (jusqu’à une réforme annoncée comme imminente) la structure administrative de la Roumanie, 16 sont « transylvains » au sens large (incluant le Banat) ; ces 16 départements sont les seuls dans lesquels la proportion ethnique (linguistique) hongroise dépasse le seuil de 1%, et où des candidats de partis hongrois ont par conséquents des chances de victoire au moins à l’échelle municipale. Mais même en Transylvanie, la répartition territoriale de la minorité hongroise (19% de la population transylvaine d’après des chiffres datant de 2002) est très inégale : ils sont majoritaires (et même largement majoritaires, à plus de 70%) dans les deux départements sicules de Hargita et Covasna (situés au centre de la Roumanie actuelle, sans aucune continuité territoriale avec les autres bassins de peuplement hongrois majoritaire de la région), et minoritaires partout ailleurs, mais là encore, de façon non uniforme : plus de 39% dans le département de Mureş, dont l’Est relève historiquement du Pays Sicule (ou plus exactement : des « sièges » de droit sicule dans l’organisation territoriale de la Couronne de Hongrie), plus de 35% et presque 26% dans les département de Satu-Mare et Bihor (frontaliers de la Hongrie actuelle, et constituant ensemble l’unité territoriale historique connue en hongrois sous le nom de Partium), mais moins de 20% partout ailleurs.
(15) Ces affirmations sont le résultat d’observations personnelles réalisées sur place à partir de 2001. Un des moments-clés de cette diplomatie transylvaine informelle des partis nationalistes (hongrois, hongrois de Roumanie et roumains) est, chaque année – mais surtout depuis l’arrivée au pouvoir de V. Orbán – la période des écoles et festivals d’été magyarophones organisés (fin juillet et début août) au Pays Sicule, et notamment le festival musical d’une semaine organisé aux alentours de la station thermale de Tuşnad, dont le temps fort politique est la visite – souvent simultanée – de T. Băsescu, V. Orbán, Béla Markó (président du parti hongrois de Roumanie UDMR de 1993 jusqu’à janvier 2011) et son rival László Tőkés (principale personnalité susceptible de fédérer au sein de la minorité hongroise l’opposition nationaliste au monopole de l’UDMR).
(16) Comprendre : sans grande sincérité en ce qui concerne les élites, mais avec un réel écho dans les couches les plus âgées et les moins éduquées de la population ethniquement roumaine, qui composent une grande partie de l’électorat PSD.
(17) Majoritaires à plus de 80% en moyenne sur le territoire historique des sièges sicules médiévaux (c’est-à-dire, sur la carte administrative roumaine, deux départements transylvains et la moitié d’une troisième), les magyarophones sicules, bien qu’utilisant le hongrois standard comme langue littéraire et scolaires, conservent des dialectes fortement typés, et un profil culturel agraire/communautariste assez différent de celui des Hongrois de Hongrie et de Transylvanie centrale. L’opinion sicule est majoritairement favorable à la reconquête de l’autonomie dont jouissait historiquement leur région au sein de la Couronne de Hongrie. En général, les élites politiques sicules parviennent à faire accepter à leur base l’inclusion de cet objectif dans les négociations de plus large envergures menées entre l’UDMR et les partis roumains, ou plus récemment entre la Hongrie sous gouvernement FIDESZ et ses voisins/cohéritiers des territoires de la Hongrie historique. Mais tout retard ou recul dans ces négociations est susceptible de renforcer chez les Sicules – peuple culturellement fort combatif – la tentation d’une action unilatérale.
(18) Pour employer le nom assez parlant que donnent beaucoup de Hongrois, des deux côtés de la frontière, à l’Etat hongrois dans ses limites post-1918.
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