jeudi 14 octobre 2010

OSHO Bucarest


Abstraction faite d’assez probables divergences théologiques, qui ont pu, vers 1900, contribuer à convaincre la famille Feldman de préférer Chicago à l’Ukraine, la principale différence entre cet évêché in partibus de l’Eglise du Bœuf, camouflé en plein Bucarest sous le sigle OSHO (pour Oscar, Sam, Harry & Oliver Feldman) et le franciscanisme, c’est qu’OSHO, de toute évidence, ne se donne pas pour priorité la conversion des humbles : en proposant la moins chère de ses viandes vieillies à 95 lei, sachant que le SMIC roumain est à 600, ce tout premier OSHO du continent Européen se protège efficacement des invasions de daco-dogons en provenance des grottes artificielles de Pantelimon, et d’ailleurs, ça tombe bien, il a justement élu domicile au beau milieu d’un quartier mutant, au paroxysme de Dorobanţilor, à proximité d’une place Charles De Gaulle où Beigbeder, à 2000km de Neuilly, pourrait à tout moment retrouver des souvenirs d’enfance.




N’empêche : au pays des carbonades de porc attendries au marteau, des rôtis carbonisés et des schnitzels panés dans l’huile, en découvrant cette boucherie-steak-house à la gloire de l’Angus du Kansas (qui trône d’ailleurs devant l’entrée sous forme de veau d’or biométrique, à même un trottoir de Vlad Ţepeş), à la faveur des relents slaves de la nuit valaque, on croirait presque s’être égaré dans un chapitre de Boulgakov, n’était la clientèle mutante, qui obligerait dans ce cas à soupçonner Boulgakov d’avoir, horribili dictu, emprunté des personnages à Houellebecq। Sous sa carapace très verre et métal, pratiquement obligatoire sur ce Bulevardul Primăverii où il a très récemment ouvert ses portes pour, visiblement inspiré par la théorie maoïste de contournement des centres par les périphéries, commencer en Roumanie la reconquête de l’Europe, OSHO cache un design réconfortant dans son traitement élémentariste de la brique et du bois massif, cadre idéal d’une cuisine de l’ingrédient roi, en constante hésitation sémiologique entre la tentation vaguement beauf du „pas de chichi” et la monumentalisation brancusienne de la véritable diva du drame carnivore : la bidoche, séchant sous nos yeux avides dans la transcendance d’un énorme frigo vitrifié où seul le frémissement des étiquettes dans la brise des ventilateurs, délicieuse allégorie du rapport du temps à la plus-value, vient troubler le hiératisme totémique des noix pâtissières et des porterhouse au gibet.


D’ailleurs, la relative cherté des viandes, aggravée par une légère fraude à l’affichage (le menu affirme que toutes les pièces de bœuf ont au moins 21 jours, alors que cette garantie ne concerne naturellement que les viandes vieillies, entre 95 et 170 lei) est compensée par une philosophie tarifaire all inclusive (accompagnement et salade inclus dans le prix des viandes), et surtout par le vin de la maison, un petit rouge valaque de l’année, sans réelle complexité œnologique, mais avec toute la virilité nécessaire pour tenir tête à un T-bone rare ; à 35 lei la bouteille, en patois de Bucarest, c’est ce qu’il est convenu d’appeler un cadeau. Cette bonne surprise s’inscrit d’ailleurs dans la stratégie de concentration verticale caractéristique de l’entreprise, qui garantit aussi in house l’élevage et l’abattage de son bœuf. En fin de compte, vin et café compris, on y mange une sérieuse portion de bœuf vieilli pour 120 lei par personne, soit moins du double de ce que coûte en moyenne un dîner acceptable à Bucarest, et l’aumône initiatique de 200 donne droit au Porterhouse blue, qui constitue probablement l’équivalent le plus crédible du taurobole mithridate dans l’offre gastronomique des pays de l’OTAN.


http://www.osho-restaurant.ro