jeudi 10 novembre 2011

MES DEBUTS DANS LA CONSULTANCE FINANCIERE

Dans l’analyse de la réalité politico-économique contemporaine, l’une de mes principales hypothèses de travail (que divers chiens de garde se hâteront d’associer à des « théories du complot », etc. – avec leur vrai-fausse anti-paranoïa coutumière, qui ne berne heureusement plus que les tous derniers des imbéciles) est que, à force de concentration et de conditionnement, l’expression médiatique du spectacle diffus est devenue cohérente. Classiquement fondée à l’Ouest sur une intoxication « en nuage » jouant sur l’importance quantitative respective des thèmes abordés, la manipulation prend, en ces jours décisifs, des allures compactes, discursives, beaucoup plus rigides : celles d’un bon vieux système de propagande totalitaire dans le spectacle concentré.

Cette hypothèse complète et explicite d’ailleurs une hypothèse historique encore plus fondamentale, développée dans divers articles récents (et notamment : http://lapenseelibre.fr/LaPenseelibreN46.aspx; http://lapenseelibre.fr/LaPense9elibreN49.aspx): celle de la convergence structurelle croissante – devenant patente au XXIe siècle des deux types de société capitaliste attestés (et apparemment opposés) au XXe siècle.

De ce fait, la propagande oligarchique devient paradoxalement fiable, ses contre-vérités étant aujourd’hui aussi transparentes que le newspeak orwellien : au terme de ce processus, la déformation n’affecte plus que les polarités du jugement de valeur, c’est-à-dire, pour les discours portant sur l’avenir, l’affectation des valeurs « redoutable » et « souhaitable » à des représentations factuelles très proches de la réalité.

Et plus on s’éloigne des anciens bastions de la démocratie parlementaire, moins cette propagande s’offre le luxe de la subtilité. Dans un article publié hier, 9 novembre, sur le site du journal électronique hongrois Napi Gazdaság (www.napi.hu), le « journaliste économique » Sándor Komócsin présente les résultats d’une étude (par ailleurs invisible sur Google en anglais) de la société d’analyse du risque Exclusive Analysis, accordant une probabilité de 65% au déclenchement d’une crise bancaire majeure en Europe avant la fin du mois.

Implication directe de notre hypothèse de travail : quand les Cassandres de l’oligarchie présentent comme hautement « probable » la « catastrophe » d’une explosion de l’euro, on peut en conclure sans l’ombre dans doute que, quelle que soit par ailleurs la probabilité réelle dudit événement (peut-être impossible à déterminer dans un tel moment de kairos, au milieu du pullulement des prophéties auto-réalisatrices) :

1) l’explosion de l’euro pénaliserait avant tout l’oligarchie, sans quoi elle ne serait pas présentée comme une « catastrophe » ; en effet, l’explosion en question se solderait probablement – non par l’apocalypse ou je ne sais quelle guerre issue de l’imagination des père fouetteurs médiatiques – mais par un décrochement du « Club Med » et par un renforcement de l’hégémonie allemande dans une Eurozone réduite (ou autour d’un néo-Mark dont la sphère d’influence de facto serait de toute façon la même –la différence entre ces deux scénarios étant donc principalement symbolique et lexicale), sans création d’une Euro-Fed, et donc dans la perspective d’un effondrement contrôlé du système bancaire ;

2) l’oligarchie considère néanmoins cet événement comme peu probable, en l’absence d’un adversaire sérieux disposé à en provoquer la survenance (car si cet adversaire existait, les porte-paroles médiatiques de l’oligarchie se garderaient bien d’un tel aveu de faiblesse).

Cette histoire est d’autant plus facile à déchiffrer qu’elle n’est, mutatis mutandis, que la répétition européenne d’un épisode récent de l’histoire du monde anglo-saxon : l’Europe continentale vit en ce moment ce que je proposerais d’appeler son « moment Paulson » : le moment que l’oligarchie a (plus ou moins librement, plus ou moins soumise à la pression des événements – qu’importe) choisi pour forcer, au moyen d’une panique financière en grande partie induite et contrôlée, la nébuleuse étatique UE à suivre le chemin emprunté en 2008/9 par les administrations Bush et Obama (naturellement imitées par les gouvernements britanniques du moment) : celui d’une pérennisation irréversible du principe « too big to fail », par monétarisation du toxique public d’origine privée. L’enjeu est la transformation de la BCE en un équivalent européen de la Réserve Fédérale américaine, appliquant la même politique de création monétaire illimitée, c’est-à-dire d’imposition indirecte (donc générale) et « invisible » (contournant donc tout contrôle politique national) de l’ensemble des revenus fixes (notamment salariaux) de la zone euro.

Il est vrai que la bataille de l’automne 2011 est plus rude que celle de l’automne 2008 : complexe et asymétrique, l’architecture institutionnelle de l’UE (par ailleurs créatrice d’une vulnérabilité que les faiblesses économiques réelles de la zone euro ne suffiraient pas à expliquer) rend en effet la manipulation de la décision politique européenne bien plus délicate qu’en Amérique. Il est vrai aussi que l’enjeu est, si possible, encore plus énorme : une fois l’euro « sauvé », c’est-à-dire transformé en un jumeau du zombie-dollar et plus ou moins indexé sur l’évolution (c’est-à-dire, en termes de pouvoir d’achat, l’effondrement) de ce dernier, la menace d’une alternative crédible au commerce international en dollars sera écartée pour une durée de 3 à 5 ans : le temps dont la Chine aurait besoin pour (si elle y parvient) réorienter son économie et prendre le relai des USA (si possible – sachant qu’elle ne dispose pas encore d’un outil de type US Army…), ou (mais c’est encore moins probable) le temps pour les BRIC de définir un outil de paiement collectif susceptible de devenir international. Pour l’oligarchie financière occidentale, cela représente de 3 à 5 ans de sursis, en situation d’hégémonie interne absolue (la fenêtre de contre-attaque offert par la crise actuelle à l’opposition de type industrialiste/ souverainiste, notamment en Allemagne et en France, allant bientôt se refermer avec les échéances électorales de 2012), pour se doter des moyens (y compris stratégiques, militaires et policiers) de perpétuer sa domination mondiale.

Néanmoins, grâce au précédent de 2008, le mécanisme est rôdé – à tel point que ses artisans poussent la désinvolture jusqu’au calque lexical : la Facilité Européenne de Stabilité Financière « rime » presque avec son modèle, l’US Emergency Economic Stabilization Fund, dont H. Paulson a été le créateur et le premier directeur ; il est vrai qu’il n’est ici plus question « d’urgence », sans doute parce que l’exemple américain a déjà amplement démontré (et habitué les opinions au fait) que ces mécanismes « d’urgence » ont vocation à se perpétuer et à s’institutionnaliser jusqu’à devenir les véritables rouages centraux de l’économie néo-féodale du capitalisme zombie : d’un capitalisme dans lequel la dette publique et privée ne cesse jamais de croître, dans lequel il est implicitement admis qu’aucune dette n’a vocation à être soldée (mais encore moins annulée !), et où l’industrie financière – qui ne finance plus rien depuis longtemps – s’alimente par ponction sur les masses de création monétaire qu’elle cogère avec l’Etat, équivalent exact d’une dîme médiévale prélevée à même le pouvoir d’achat du peuple, sur un panier des ménages toujours plus dégarni.

L’explosion de l’euro, c’est la balle largement imaginaire du pistolet bien réel que « les marchés » braquent en ce moment même sur la nuque d’Etats complices de leur propre prise en otage. Les seuls états de l’Eurozone qui auraient intérêt à ce que cette explosion se produise (et que la propagande oligarchique présente donc évidemment comme les « principales victimes » de cet éventuel événement) sont les petits pays méditerranéens dénués d’industries transformatrices compétitives à l’export, exportateurs de matières premières (et bien assimilés, comme le tourisme) et de main d’œuvre (économie des mandats) : Grèce, Portugal, Irlande. Compte tenu du poids négligeable du capital grec, portugais et irlandais dans la prise de décision réelle au sein de la zone (et d’ailleurs même dans la prise de décision officielle, pseudo-démocratique – compte tenu de la faiblesse numérique des populations concernées), il est donc évident qu’à moins d’un véritable changement de régime (probablement violent) dans au moins l’un de ces pays (a priori, seule la Grèce entrerait en ligne de compte pour une révolution peu probable au Portugal et impensable en Irlande), personne en Europe ne prendra le risque de l’explosion, ni même de l’exclusion volontaire desdits pays, en dépit des souhaits explicites (cachés ou déformés par les médias mainstream) de leurs populations.

Les mêmes conclusions s’appliquent aux parents pauvres satellites de la zone euro, comme la Roumanie et la Bulgarie (et dans une moindre mesure, la Hongrie), qui conservent la souveraineté fictive de monnaies nationales en état de pegging de facto face à l’euro, et subissent donc au même titre que la Grèce (mais avec des conséquences sociales encore plus dures) la piraterie du FMI et de l’UE, avec la complicité d’élites politiques compradores totalement acquises à la cause des métropoles colonisatrices. Néanmoins, le fait que ces pays n’appartiennent officiellement pas à la zone euro, et la quasi-inexistence d’une opposition réelle dans leurs élites allègent la pression politique et la surveillance dont ils font l’objet, alors même qu’ils subissent les plus dures des conséquences sociales du nouvel ordre européen. Ils pourraient donc bien, à moyen terme, devenir les nouveaux maillons faibles de la construction euro-oligarchique.

L’Allemagne, qui a besoin de la zone euro et de l’UE pour perpétuer sa conquête économique « à la chinoise » du continent, ne peut le « sauver » qu’en acceptant le plan oligarchique de monétisation de la dette, soutenu par les « socialistes » du parti européen PES, principal porte-parole de l’oligarchie sur l’échiquier politique actuel. La seule alternative consisterait pour elle à rejoindre le camp anti-bancaire, option naturellement exclue d’entrée de jeu du fait des solidarités institutionnelles et personnelles entre élite politique allemande et oligarchie financière (notamment à travers la grande banque allemande, à commencer par Deutsche Bank). Ces conclusions sont naturellement applicables à l’entourage géopolitique direct de l’Allemagne, c’est-à-dire à ce qu’on pourrait appeler le « camp allemand » (incluant au premier chef la Finlande, mais aussi l’Autriche, et plus indirectement les Pays-Bas et la Pologne).

Restent donc les économies semi-désindustrialisés de la façade atlantique (France, Espagne, Bénélux) et l’Italie, pays où, du fait de la faiblesse des milieux capitalistes classiques, l’oligarchie financière est restée seule propriétaire du personnel politique – ce qui suffit largement à compenser l’existence, dans ces pays, d’une véritable tendance anti-impérialiste dans l’opinion publique, d’autant plus que l’écran de fumée de la diversion sociétale (« pour ou contre » le voile, le mariage homosexuel, le congé de paternité etc.), dernier rempart de l’illusion droite/gauche, empêchera à priori ce camp (par exemple : les souverainistes de Marine Le Pen et les « anticapitalistes » de Mélanchon en France) de s’unifier en vue des échéances électorales de 2012.

J’ai donc décidé aujourd’hui de faire concurrence à la société Exclusive Analysis sur le marché de l’anticipation – concurrence hautement déloyale, dans la mesure où ma vision de l’avenir européen n’est pas, comme la leur, obligée de tenir compte des objectifs de communication de leurs clients réels – et je prédis que :

1. A moins d’une révolution en Grèce avant les échéances électorales occidentales de 2012 (improbable, c’est-à-dire dont la probabilité est en tout cas inférieure à 50%, quoique peut-être supérieure à 20%), le scénario-catastrophe de survie de la prison-euro jouit d’une probabilité d’au moins 80% dans l’état actuel de désinformation massive des opinions publiques européennes.

2. En cas de révolution, la Grèce, exclue de l’euro, sera politiquement et médiatiquement isolée du reste du monde, tandis que les services secrets occidentaux s’efforceront de saper les efforts de réorganisation de la société grecque et, probablement avec l’aide d’une extrême-droite locale néoconservatrice, de transformer l’expérience en bain de sang, à valeur d’avertissement pour les pays en situation de risque de contagion.

3. Dans les deux cas, les échéances électorales à venir vont porter les expressions nationales du PES au pouvoir dans la majorité des grands pays de l’UE, à commencer par la France et l’Allemagne ; ces gouvernements appliqueront le plan Barroso d’Euro-Fed.

4. Une opposition populaire massive non-gauchiste (post-indignado) à l’oligarchie n’apparaîtra que face à un constat massif d’échec, ou plutôt de trahison, de ces petits Obamas européens, soit, a priori, à partir du printemps 2013.