lundi 1 novembre 2010

ABSURDISTAN – note 4 : Bwana dans les Ka’pat


Dans la morosité grandissante d’un début d’hiver venu rappeler à beaucoup de citoyens de l’Absurdistan que l’optimisme est une ardeur non-chauffante, malgré tout, quelqu’un doit s’amuser à Bucarest-la-joyeuse : Traian Băsescu, Pharaon de Basse-Valachie.

Les dernières concessions de son gouvernement (aussi nommé « gouvernement Boc », du nom d’un des plus disgracieux de ses avatars mortels), menacé de motions de censure, au parti hongrois en matière de politique scolaire n’ont bien sûr aucune importance concrète, comme d’ailleurs toute décision de principe concernant le fonctionnement d’institutions publiques nationales en Absurdistan. Elles ouvrent notamment la voie à une pédagogie de type « langue étrangère » pour l’enseignement du roumain dans les filières magyarophones de l’enseignement scolaire, c'est-à-dire essentiellement au Pays Sicule, où la population est généralement magyarophone à hauteur de 80%. Théoriquement (un adverbe qu’on interprète ici spontanément comme signifiant : « dans d’autres pays »), cette mesure pourrait tout au plus amener à de meilleures performances pédagogiques dans les zones d’extrême monolinguisme hongrois, chez ceux des élèves (les anticonformistes) qui tentent réellement d’apprendre le roumain.



Concrètement, l’enseignement roumain étant organisé « à l’allemande », les écoles et lycées y jouissent, vu de France, d’une grande autonomie (notamment dans le recrutement des enseignants), et les enseignants sicules continueront à distribuer aux rejetons de leur ethnie des 10/10 en roumain, sans perdre une traitre seconde à mesurer leurs divers degrés d’analphabétisme dans la langue de Caragiale – et au fond, à quoi bon ? A l’échelle locale, l’usage du roumain étant, dans ces contrées, un rituel administratif découlant du principe de citoyenneté, on pourrait à juste titre considérer que toute évaluation différentielle de sa maîtrise constitue un déni d’égalité civique. A l’échelle nationale, l’ethnie étant la donnée de base de la phénoménologie sociale en Absurdistan, personne ne se méprendra jamais sur la signification de ces notes gonflées – qui mieux est : personne ne reprochera jamais à leurs titulaires leurs fautes de grammaire et l’imprécision de leur vocabulaire, le roumain étant, en matière linguistique (et autres…), un être des plus tolérants.



Tout le monde le sait – ce qui n’empêche pas l’opposition (la même opposition qui, il y a presque jour pour jour un an agitait « son » parti hongrois et « son » maire allemand de Sibiu comme fétiches ultimes d’une vénération pseudo-coloniale du Visage Pâle) de se lancer, certes sans conviction ni talent, dans des plagiats éhontés des meilleurs délires de Vadim Tudor sur « l’irrédentisme hongrois » et « la menace antinationale », jeu dangereux qui, pour l’instant, n’a pas d’autre effet que celui de consolider a contrario la coalition de gouvernement, qui rassemble le bloc mioritique roumain PDL & Co. et le parti hongrois – « l’opposition » étant, rappelons-le, constituée de « libéraux », actuellement occupés à démontrer, dans un style jdanovien d’une grande pureté (http://www.ziuadecj.ro/editorial/scrisoare-deschisa-catre-emil-bok---54046.html), le primat du prix du pain sur le sentiment d’identité de « leurs frères hongrois », et de « socialistes » adeptes des privatisations et de l’OTAN. Les efforts quotidiens du collectif anarchiste autoproclamé « gouvernement Boc » pour décrédibiliser l’Etat et le pouvoir en place se heurtent donc à la concurrence féroce d’une « opposition » évoluant à une vitesse encore plus vertigineuse vers l’absolu du ridicule et du néant conceptuel.

Le Dominator de Bucarest, premier dictateur européen à avoir élevé le ricanement au rang de stratégie de gouvernement, n’a pas fini de rire…


Entre temps, sur un site consacré à l’histoire de la politique linguistique en RDC (http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/afrique/czaire.htm), j’apprends que :



"A l'exemple de la Belgique, il y a même eu des projets de partage du Congo belge en une «zone francophone» et une «zone flamande»."



Je vois d'ici les Lingalo-flamands éminçant menu les Wallonbas du Zout-Kijvoe... Heureusement, les missions ont finalement donné la priorité à l'évangélisation en langues régionales (swahili, kikongo etc.). Comme ça, pas d'ingérence dans la « barbarie africaine » : Houe-tue à droite, Toute-scie à gauche ; au milieu, dans sa jeep climatisée à vitrage anti-balles, Bwana compte les points et vend les cartouches. C'est quand même plus réglo...



Dans ma propre partie de l’Afrique, d’ailleurs, l’histoire est fondamentalement la même. Pendant que les néo-stalinistes du « parti libéral » et les narodniks pravoslaves du « parti social-démocrate » reprochent à « la droite » post-nomenclaturiste de Băsescu de trahir « la nation » en donnant à quelques milliers de pédagogues sous-alimentés le droit théorique d’utiliser des manuels made in Hungary, la véritable actualité, c’est encore et toujours Bwana :



Au pays des icônes, l'apparence n’est jamais trompeuse : Bwana, cette fois-ci, s’appelle Jeffrey Franks, un « technocrate » FMI bien répugnant, œil en trou de pine et goitre d’ogre, dont la bonne tête de pédéraste violeur anthropophage ne cache en effet rien d’autre qu’une extrême cruauté et un parfait cynisme dans l’exercice quotidien de la prédation économique. Il est actuellement « en visite prolongée » au centre de la plantation, où il « discute des conditions du prêt » avec les contremaîtres indigènes. Pas la première du genre, certes, mais cette fois-ci, probablement désinhibé par l’atmosphère de foire d’empoigne sur vaisseau en perdition que suggère « l’exercice parlementaire » roumain, et animé par le réalisme un peu cru qui gagne du terrain dans le cœur de l’homme blanc à mesure que s’approche un hiver économique XXL, il se lâche, le gars Jeffrey, comme sur une cave-prison flamande bien garnie ! Finies, les « options laissées au gouvernement de Bucarest », finie, la pédagogie Steiner à l’usage des sous-hommes, finis, les strausskahnismes mous ! Ebbes oder Nix, comme l’affirmait, en faisant avancer ses vaches à grands coups de trique, ce disciple inconscient de Leibnitz rencontré vers 1985 dans un pré du banc communal de Hilbesheim ! Quand le sauvage devient récalcitrant, eh ben, faut ce qui faut ! Non content de dicter aux contremaîtres indigènes les recettes et dépenses de la plantation, ce médecin sans frontière leur prescrit désormais aussi les lois à faire respecter pour réguler les rapport de leurs propres nègres avec les usuriers du port – lesquels ne sont autres que le grand capital bancaire occidental, que l’artifice juridique de la plantation souveraine oblige néanmoins à maquiller en sociétés de droit roumain. Parce c’est bien joli de vouloir « réglementer l’activité bancaire » (ou plus exactement : éliminer une partie des pratiques usuraires actuelles, comme le prévoit une loi récemment votée en Foire d’Empoigne), mais ça pourrait amener Bwana à vous « couper les vivres ». Car le sauvage est irresponsable et paresseux : il boit, bat sa femmes, fait des dettes, et sans Bwana, la rigueur et la magnanimité toutes paternelles du FMI, il crèverait la gueule ouverte, le sauvage !



En réalité, cet argent du FMI, dont Jeffrey Frankenstein agite la prochaine tranche comme un rab de bouillie de patates au réfectoire de Theresienstadt, ce bon argent de Bwana, à la différence des B52 de l’OTAN, traverse la Roumanie sans toucher le sol. Les contremaîtres indigènes, une fois leur commission prélevée, ne peuvent l’employer qu’à renflouer leur monnaie constamment menacée de dévaluation par le désastre économique interne (cf. ibidem http://korkorezhau.blogspot.com/2010/09/fara-numar-pour-un-bolivarisme.html), c'est-à-dire à accorder un nouveau sursis aux centaines de milliers de surendettés en devises que leur créanciers (les filiales sauvages des grandes banques de Bwana) n’ont naturellement aucune envie de saisir, étant donné qu’ils ne pourraient jamais écouler la moitié des biens hypothéqués (notamment immobiliers) sans provoquer l’effondrement des cours et leur propre faillite – d’ailleurs bien méritée, puisque personne ne les obligeait à prêter à tour de bras à des imbéciles potentiellement insolvables. En d’autres termes, cet « argent » (d’ailleurs pratiquement imaginaire), au gré d’une ou deux opérations d’écriture comptable roumaine, passe de la poche virtuelle d’un contribuable occidental au compte immatériel d’une banque occidentale, un peu comme à l’occasion d’un « plan de relance économique », donc, sauf qu’au passage, Bwana resserre un peu plus la bride des « jeunes démocraties » et autres « économies émergentes ».

Cette parade aéronautique de milliards d’euros dans le ciel d’Absurdistan ne protège naturellement ni du froid, ni de la faim les chômeurs sicules, petits paysans moldaves et autres intermittents tziganes du spectacle de la misère, indépendamment de leurs usages linguistiques, de l’organisation des écoles qu’ils n’ont pas fréquentées et de leur rapport à « l’histoire nationale ». Ceux à qui les hausses fiscales imposées par Bwana laissent de quoi se chauffer feront la queue devant une banque pour remettre leurs derniers picaillons à l’un des deux monopoles gaziers privés qui se partagent le territoire et… appartiennent à Bwana.

« Monopoles, oligarchie, tendances à la domination au lieu des tendances à la liberté, exploitation d'un nombre toujours croissant de nations petites ou faibles par une poignée de nations extrêmement riches ou puissantes : tout cela a donné naissance aux traits distinctifs de l'impérialisme qui le font caractériser comme un capitalisme parasitaire ou pourrissant. » – écrit Lénine en 1916 ; « parasitaire ou pourrissant » : c’est à croire qu’il connaissait Jeffrey Franks… En tout cas, il connaissait Bwana.


Au pays des icônes, c’est tous les jours dimanche après-midi. Par conséquent, les (désormais fort nombreuses) chaînes de télévision diffusent toutes, exclusivement et en permanence, des remakes plus ou moins ressemblants de l’Ecole des Fans de Jacques Martin ; en dépit de mon affection nostalgique pour ce genre qui me rappelle ma grand-mère, il m’arrive de m’en lasser, auquel cas je suis livré pieds et télécommande liés au monopole de France 24, qui m’inflige le discours de Sarko au Sommet de la Francophonie (célébré non loin de l’endroit où Lénine, 94 ans plus tôt, écrivait les lignes ci-dessus), et j’en viens soudain à me demander : pourrait-on considérer l’empalement de Jeffrey Franks sur un fer à souder comme « une mesure de réforme de la gouvernance économique mondiale » ? Naturellement, j’ai des doutes quant à la régularité administrative du procédé, mais d’un point de vue strictement affectif, c’est une hypothèse de travail sur laquelle je continuerais volontiers à travailler…

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